Masculin – issue no. 140
Nagi Sfeir
Par amour de l’architecture
D’une énergie quasi débordante et contagieuse, prouvée par les innombrables heures passées au travail, le temps accordé à son épouse et à ses enfants, au secourisme de la Croix-Rouge, à la plongée sous-marine. Nagi Sfeir arrive quand même à nous recevoir et nous raconter qu’il ne fonctionne qu’avec passion et intensité. Ses yeux francs, ses gestes francs, ses épaules carrées de sportif invétéré révèlent ce créatif qui se trouve être, de tout ce qui l’entoure, un amoureux transi.
Quel a été votre parcours ?
Je dois vous avouer que très jeune, le sens de toucher était très présent pour moi. Je passais ma main sur un mur, un tissu, du cuir, de la tôle comme si je caressais des visions rencontrées. Quand il a fallu décider de mon avenir, je n’ai pas hésité une seconde pour suivre l’architecture.
Apres l’Alba, j’ai eu la chance d’avoir une bourse à l’école Polytechnique en Italie et je devais prendre la décision qui était soit de remplacer mon père ingénieur, et installé dans les pays arabes, soit de profiter de la bourse que j’avais eu la chance d’obtenir. J’ai opté pour le pays de Da Vinci, voulant à tout prix me perfectionner dans mon domaine. Au retour, j’ai fait un DESS Urbanisme à l’Alba et j’ai travaillé avec le grand architecte Pierre El Khoury, pendant 6 ans. Cela a été l’école de ma vie. A cette époque, les années, 94, c’était l’âge d’or de la reconstruction au Liban.
Depuis quand êtes-vous installé à votre compte ?
J’ai fondé un bureau d’architecte d’abord avec un ami et, depuis déjà 6 ans, j’ai décidé de faire cavalier seul. C’est plus défiant certes, mais tout aussi gratifiant. Ce qui me ravit, c’est que je partage mes locaux avec Graziella, mon épouse, qui possède sa propre compagnie de graphisme. Nous avons de part et d’autre un œil critique sur les projets chacun pour l’autre. Nous tirons profit de cette opportunité, dans la mesure où il y a échange d’avis d’artiste que nous prenons tous les deux au sérieux.
Comment vous protégez-vous dans l’avenir ?
J’aime mon métier et c’est par amour que je ne voudrais pas avoir une usine de production. Je souhaite plutôt continuer sur la même lancée, avec une équipe bien fournie en tant qu’atelier-boutique design. Je crois à la vraie Architecture, celle qui ne s’arrête pas, qui évolue en rajoutant un maillon de plus à une base solide afin que celle-ci devienne une référence dans le futur. Je crois à la continuité dans l’innovation.
Vous êtes connu sur le marché comme étant un architecte et un architecte d’intérieur, comment gérez-vous cela ?
Il est vrai que je suis aussi dans l’intérieur, mais c’est parce que je conçois l’extérieur et l’intérieur en parallèle. Les volumes m’interpellent et je joue sur les impressions tant extérieures qu’intérieures. Mes créations ne se limitent pas à un espace ; quand je travaille sur une façade, il me tarde de visionner le style de vie qu’il peut y avoir à l’intérieur. Actuellement, nous travaillons sur le restaurant argentin Gaucho à Dubai, avoir fait celui de Beyrouth en coopération avec leurs designers anglais.
Quels sont les problèmes vous rencontrez ?
Quelle que soit la contrainte à laquelle je dois faire face, j’ai de la chance de pouvoir la tourner à mon avantage. Mais les vrais problèmes au Liban résident dans le fait que beaucoup de clients veulent rentabiliser immédiatement leurs investissements, construire de qualité moindre et vendre à prix d’or. C’est tout un jeu à court terme, « hit & run », qui fait beaucoup de mal à la profession et au pays.
Quelle partie de votre travail vous stimule le plus ?
Les premiers jets, mes premiers sketches sont des moments intenses pour moi et, bien que basés sur l’analyse approfondie des exigences du client. J’y mets beaucoup de moi-même. A titre d’exemple, je viens de travaille`r un projet à un ami d’enfance et pourtant, il m’a fallu le connaitre « différemment » pour répondre à ses besoins. C’est cette fusion entre les rêves du client et ma conception, qui est une expérience unique.
En tant qu’architecte comment vous définissez-vous ?
Je considère que ce que je réalise est chaleureux bien que nous employons des techniques et matériaux actuels et futuristes.
Je vous avoue que c’est aussi dans le détail que je me retrouve et que je m’éclate aussi…
L’espace pour moi est aussi essentiel, l’épuré rend à chaque élément la majesté qui lui est due. C’est telle une partition de musique où il ne faut pas rater le tempo, tout comme il ne faut pas toucher à un design harmonieux. L’architecture ne doit être esclave d’aucune mode et doit pouvoir en prendre l’essence. Je me définis comme un danseur et j’espère ne pas rater un pas dans ma valse. Ce qui est merveilleux, c’est que mon équipe suit merveilleusement la cadence et collabore au fait que le temps passé au bureau est égal à un temps de bonheur.
Un dernier message ?
Faire du Liban un monde meilleur, c’est commencer par une architecture saine et vraie.